La Haine Dramaturgique, Salut Apocalyptique


AVANT-PROPOS
La haine est annulation et assassinat virtuel — non pas un assassinat qui se fait d’un coup ; haïr, c’est assassiner sans relâche, effacer l’être haï de l’existence.
(José Ortega y Gasset)
Quand on peut user de violence, il n’est nul besoin de procès.
(Thucydide)
Depuis mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.
(Victor Hugo, Chansons des rues et des bois)
Le théâtre est, certes, le lieu de toutes les passions, de passions irrépressibles, toujours difficiles à maîtriser en tout cas — de « folles passions » en quelque sorte — mais qui, dans le même temps, suscitent la mise en œuvre d’une dramatisation orchestrée, méthodique et organisatrice d’un sens. Comment les passions sont-elles à l’origine du drame ? Autrement dit : comment des passions (tristes notamment), qui relèvent d’un principe passif par essence, peuvent-elles donner naissance au drame et à son déroulement, véritable mise en action qui va remplir la scène de tumulte et de turbulence, de « bruit et de fureur » ? Mystère de la chose théâtrale toujours renouvelé…
La haine est ainsi le moteur de la violence et l’art dramatique a toujours su tirer parti de ces passions qui semblent consubstantielles à la nature humaine — qu’il s’agisse de l’envie ou de la convoitise, de la jalousie ou du désir effréné, de la cupidité ou de l’ambition démesurée, de l’esprit de vengeance ou du ressentiment, de l’orgueil froissé ou de l’espérance déçue, voire du dépit amoureux — et dont il se nourrit inlassablement. L’homme, certes, nourrit sa haine de ses colères — auxquelles il trouve toujours de bonnes raisons. Les peuples, quant à eux, offrent le plus souvent à la violence ses lettres de noblesse en l’exaltant dans leurs rêves de gloire et en les sublimant dans des projets de conquêtes et d’exploits guerriers.
Les rédacteurs du présent numéro se sont attachés, nous le verrons, à rechercher et à analyser les motivations qui peuvent engendrer la haine, à en décrire le processus, souvent mortifère, qui en découle inéluctablement — avec son cortège de violences et de souffrances inhérentes au déploiement de fureur et d’horreurs qu’elles ne manquent jamais de provoquer –, à examiner enfin, dans l’histoire des peuples, ces manifestations ultimes que sont le fracas des guerres et le malheur généralisé qui s’ensuit. De la Grèce antique (Marie-Françoise Hamard) et de l’époque de la Renaissance — qu’il s’agisse du cinquecento en Italie (Théa Picquet), du Siècle d’Or en Espagne (Christian Andrès) ou de la période élisabéthaine en Angleterre (Henri Suhamy, Jean-Pierre Richard, Jean-François Sené, Maurice Abiteboul) — au Grand Siècle en France (Jacques Coulardeau, Marine Deregnoncourt, Marie-Hélène Davies) ; de la période moderne — aussi bien en France (Jean-Pierre Mouchon) qu’en Allemagne (Aline Le Berre, Marc Lacheny) — à la période contemporaine — avec les États-Unis (Claude Vilars, Maurice Abiteboul), la France (Thomas Lorusso) ou bien encore Israël (Thérèse Malachy), l’Algérie (Fatouma Benammar-Quintin, Hadj Dahmane) ou le Liban (Éliane Beaufils), nos rédacteurs ont abordé la thématique du présent numéro en insistant davantage, qui sur la rancœur et la haine, qui sur la violence et la souffrance, qui sur la guerre et ses conséquences tragiques. Ce qui ne les a pas empêchés, parfois, de se livrer à des études axant la réflexion sur les rapports du cinéma au théâtre (Claude Vilars, Edoardo Esposito) ou encore sur l’adaptation du roman au théâtre (Thomas Lorusso).
Mentionnons encore un entretien avec l’un de nos grands metteurs en scène, Daniel Mesguich (Jacques Coulardeau). En outre une réflexion d’ordre philosophique apporte ici un éclairage particulier sur la question de la guerre (Olivier Abiteboul) cependant que nous est proposée, à travers une expérience à la fois personnelle et professionnelle, une apologie de la paix (Ouriel Zohar). Quelques comptes rendus de spectacles (Michel Arouimi, Jean-Pierre Mouchon, Marcel Darmon, Daniel Labonne, Éliane Beaufils, Marie-Françoise Hamard) ainsi que des notes de lecture complètent cette livraison annuelle de Théâtres du Monde.
Maurice ABITEBOUL
Avignon Université
Directeur de Théâtres du Monde
Prochain thème de Théâtres du Monde :
N° 31 : Présence et absence au théâtre (2021)

SOMMAIRE DU N° 30 (2020)
LE BRUIT ET LA FUREUR AU THÉÂTRE
(HAINE, VIOLENCE ET GUERRE)
SOMMAIRE — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 7
AVANT-PROPOS
Maurice ABITEBOUL — — — — — — — — — — — — — — — — — — —p. 11
Haine, violence et guerre au théâtre
INTRODUCTION : LE BRUIT ET LA FUREUR AU THÉÂTRE
Marc LACHENY — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 15
Le bruit et la fureur au théâtre
ÉTUDES SUR « LE BRUIT ET LA FUREUR AU THÉÂTRE »
Théa PICQUET — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 33
Le bruit et le silence dans la comédie du Cinquecento (Lorenzino de’ Medici, Aridosia)
Christian ANDRÈS — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 45
La guerre et la haine dans quelques comedias de Lope de Vega
Henri SUHAMY — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 67
Shakespeare et la guerre
Jean-Pierre RICHARD — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 99
Henry V et Jeanne d’Arc version X, ou la guerre en France version Shakespeare
Jean-François SENÉ — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —p. 109
De la haine dans trois pièces de Shakespeare (Roméo et Juliette, Le Marchand de Venise, Othello)
Maurice ABITEBOUL — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 137
Ferdinand dans La Duchesse d’Amalfi de John Webster ou la violence en procès
Jacques COULARDEAU — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 147
De Cyrano à Agrippine, un gouffre d’horreur historique
Marine DEREGNONCOURT — — — — — — — — — — — — — — — — p. 171
L’eau et le feu dans Phèdre de Jean Racine : réflexion sur le pouvoir louis-quatorzien
Marie-Hélène DAVIES — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 193
Les effets de Mars dans le théâtre français de l’Ancien Régime
Aline LE BERRE — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 229
Haine, violence et guerre dans Les Brigands (1781) de Schiller
Jean-Pierre MOUCHON — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 247
Amour, haine et fureur dans La Juive (1835) d’Eugène Scribe et Fromental Halévy
Marc LACHENY — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 267
La guerre des sexes dans Judith (1839–1841) de Friedrich Hebbel
Maurice ABITEBOUL — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 279
Violence et souffrance : l’intégration des thèmes dans A Lie of the Mind de Sam Shepard
Claude VILARS — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —p. 291
S’approprier l’autre et son « territoire » : viol, haine et vengeance dans Silent Tongue de Sam Shepard
Edoardo ESPOSITO — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 307
Le nazisme ou le mal absolu au théâtre
Thomas LORUSSO — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 327
Haine, violence et guerre / du roman au théâtre : le Voyage au bout de la nuit de Romeo Castellucci
Thérèse MALACHY — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 345
La violence dans le théâtre de Hanokh Levin
Fatouma BENAMMAR-QUINTIN — — — — — — — — — — — — — — —p. 349
Mille hourras pour une gueuse, de Mohammed Dib
Hadj DAHMANE — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 365
Lutte et revendication dans le théâtre algérien : le cas du théâtre de Slimane Benaïssa
ÉVOCATIONS / PORTRAITS / ENTRETIENS
Jacques COULARDEAU — — — — — — — — — — — — — — — — — — —p. 379
Daniel Mesguich, un entretien
RÉFLEXIONS ET COMMENTAIRES
Olivier ABITEBOUL — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —p. 395
La question de la guerre et de la paix chez Grotius, Rousseau et Kant
Marc LACHENY — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 405
Permanence et variations du bouffon autrichien : Hanswurst dans l’histoire littéraire et culturelle germanophone (Lessing, Goethe, Mozart)
Ouriel ZOHAR — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —p. 425
La lutte du metteur en scène de théâtre pour l’amour, la réconciliation et la paix
VU SUR SCÈNE
Michel AROUIMI — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 435
Alfredo Arias et sa Comédie canine
Jean-Pierre MOUCHON — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 441
Théâtre antique des Chorégies d’Orange 2019
Marcel DARMON — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 445
Un opéra de Verdi, Simon Boccanegra, à Montpellier
Daniel LABONNE — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 449
Why? de Peter Brook
Éliane BEAUFILS — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 451
Les guerres sans bruit ni fureur de Rabih Mroué et Lina Majdalanie
Marie-Françoise HAMARD — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 463
Le bruit, la fureur au théâtre : examens de la mise en scène d’Électre et Oreste d’Euripide par Ivo van Hove
NOTES DE LECTURE
Maurice ABITEBOUL — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 475
* Jean-Pierre Richard, Shakespeare pornographe. Un théâtre à double fond
* Jean-François Sené, De l’œuvre de Shakespeare et de La Tragique Histoire d’Hamlet, prince de Danemark, Essai d’analyse politique
Quelques publications récentes de nos rédacteurs :
Maurice ABITEBOUL — — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 476
* Jean-Pierre Mouchon, Maurice Renaud. Le Protée de l’art lyrique
* Michel Arouimi, Déconstruire au cinéma
Jean-Pierre MOUCHON — — — — — — — — — — — — — — — — — — p. 479
* Maurice Abiteboul, Ce minuscule printemps qui ne sera qu’une fois
NOTICES SUR LES AUTEURS — — — — — — — — — — — — — — — p. 483
SOMMAIRES DE QUELQUES NUMÉROS PRÉCÉDENTS — — — — — p. 495
