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Femen
L’intervention d’un groupe de femmes aux seins nus lors des cérémonies du 11 novembre suscite des réactions diverses. Ces jeunes femmes arboraient sur leur torse des inscriptions pacifistes et provocatrices : « Fake peacemakers, real dictators », et « Welcome war criminals ». « Faux pacifistes, vrais dictateurs », « Bienvenue aux criminels de guerre ».

La signification de leur action est claire : dénoncer le fait que ceux qui font des discours sur la paix se contredisent par leur politique réelle : la France est le 3e plus important vendeur d’armes au monde, tandis que la Russie et les Etats-Unis détiennent un stock d’armes nucléaires suffisant pour détruire la vie sur terre. Les USA derniers entretiennent des guerres depuis des décennies sur tous les continents et n’hésitent pas à armer des groupes extrémistes pour déstabiliser des gouvernements légaux.

Ce qui est moins clair chez les Femen, au-delà du message, c’est le modus operandi : pourquoi manifester seins nus ? Selon les Femen elles-mêmes « se montrer nue est un moyen de donner une signification à la nudité, qui ne soit plus synonyme de prostitution ou d’exploitation sexuelle ». Rappelons que les Femen sont à l’origine un mouvement féministe ukrainien.

Pourquoi seins nus ? La signification du dévoilement du sein a varié énormément selon les lieux et les époques. En Afrique c’était jusqu’à récemment tout simplement la norme. C’était aussi le cas dans les cultures préchrétiennes et pré-musulmanes d’Afrique, d’Amérique du Nord, d’Australie et d’Océanie. Même en Europe, il y a eu une mode des seins nus qui a duré de la fin du XVe siècle jusqu’au début du XVIIe. Vers 1640 commence une longue période où le puritanisme s’impose en ce domaine comme en d’autres, et cela durera jusqu’au début des années 50. « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » semble être le slogan de la bourgeoisie montante, puis triomphante. Le triomphe des Tartuffes. Car les mêmes qui proscrivent l’exposition des seins de leurs épouses vont voir ceux des danseuses aux cabarets parisiens.

Revenons au Femen. Ce sont sans conteste des guerrières. Guerrières nues de la paix, sans autres armes que leurs seins. Ce sont leurs armes défensives, leurs boucliers. On ne peut y toucher sans créer soi-même le scandale, et les policiers qui les arrêtent sont attentifs à ne pas le faire. Il n’y a donc pas là de valeur érotique. Le sein est un symbole de protection et de mesure. S’il pouvait parler, il dirait « Puise ta force en moi » et « Bas les pattes ! », deux injonctions contradictoires. Paradoxe, la « Liberté guidant le peuple » de Delacroix, en plein triomphe de la bourgeoisie, a les seins nus. Est-ce le retour du refoulé ? C’est que le dévoilement du sein est symbole de liberté, comme dans la mode topless depuis les années 50, où la femme se débarrasse aussi du foulard obligatoire (elle sort « en cheveux ») raccourcit ses jupes au maximum, et laisse au rencard gaine et de plus en plus souvent soutien-gorge.

Ceux et celles qui voient dans les démonstrations des Femen un simple exhibitionnisme ou de la provocation sexuelle ne comprennent pas le symbole. Certes ce ne sont pas les plus laides qui montent en première ligne, mais la vision hypnotique du sein dénudé a aussi une valeur d’éveil. Elle incite à voir le vrai : la continuité dans l’histoire de l’oppression et de l’intimidation des femmes, la persistance de valeurs destructrices qui empêchent les peuples de jouir de la paix, de la sécurité et de l’abondance.

Ces femmes n’ont pas peur. Ou si elles ont peur, elles ont encore davantage de mérite, car alors c’est qu’elles ont le courage, au nom de leurs valeurs, d’affronter le mépris, l’incompréhension et la haine des puritains et des médiocres.
Michel Caubet
