Clown Bien Né Mais Mal Embouché

DES CIGALES STRIDENTES
AUX PIC-VERTS RAGEURS
L’ART SOCIAL DU BÉGAIEMENT SYLLABIQUE
DES CIVELLES VERTES
AUX PIBALES PAS MÛRES
UN MAYA EN PERDRAIT SON CACAO
J’ai été formé au biberon de Radio Quinquin, le Petit Quinquin du Nord Pas de Calais et rien ne pouvait sortir de nos mains ou de nos bouches qui n’était pas un bégaiement linguistique amusant. Mi j’n’comprenos nin rin, eh be bebe bebe ! Mais min P’tit Pouchin, min gros rojin, li i dormot ch’qu’à d’min. Mais cha ch’étot du chti, en fait du vrai Picard de Roubaix.
Si par contre j’en crois Hervé Bazin c’est plutôt du cuculien, vous savez la langue du « panpan cucul ». Et le personnage de Hervé Bazin, Mariette, qu’elle s’appelle, n’use que ce cuculien avec les enfants dont elle s’occupe à la maternité de la rue Marie Buisine. « L’avot in chtiot bobo à sin mimine, min chtiot coco ? » Bien sûr à Paris on dirait tout simplement en langage adulte du moins : « Il a un peu mal à sa main, le petit garçon ? » Remarquez combien la troisième personne fait sérieux et aimable à la fois. C’est qu’on ne doit pas plaisanter avec le langage des enfants, que ce soit du cuculien picard ou que ce soit le discours attentionné d’un adulte à un enfant. Et c’est comme cela qu’on a tous ces adultes qui utilisent des mots CVCV pour paraître simples et décontractés. Et ce ne sont pas les Guimarch de Bretagne ou les couillons de Bordeaux ou les pépères de Paris, on dit Belleville, qui me démentiront. Ils parlent encore tous comme ils ont appris à l’âge de quatre ans, après qu’ils ont eu quittés leurs langes culottes et qu’ils soient passés aux culottes courtes.

Et le Bibi Lolo a bien changé avec le temps car maintenant il se tape une bibine le soir au café qu’autrefois on appelait un cabaret ou un estaminet. Et le minet fait chacha et il miaule gentiment comme un chouchou de sa sorcière, car en plus il est noir. Et notre Bibi Lolo ne passe pas une minute sans qu’il envoie un coucou à ses amis. C’est facile aujourd’hui avec un smartphone, ce truc plat que l’on garde dans la poche. On tape coucou et avec deux clics on a envoyé ce coucou-là à la moitié de la planète. Et des quatre coins de la boule terrestre, on ne sait pas trop où sont les coins mais les réponses en, viennent naturellement, ce ne sont que des salutations bégayantes qui dansent comme autant de grésillements portés par des parasites électro-magnétiques sur les micro-ondes de ces smartphones. Et ce ne sont plus que des cocos qui vont à dada, sur les genoux de papa, et le fanfan didit « Maman meumeu mimi veuveut lolo vanvant alleller dodo mimi joujou mimi nounours mimi lilit. » Mais la maman très sérieuse reprend en cuculien : « Avant tout, p’tit coco doit aller sur popo pour faire pipi et caca avant le dodo. Sinon panpan cucul et papa très en colère. » Et vous pouvez imaginer la suite, en cuculien, en français ou en créole bégayant. Le dimanche c’est la tata et le tonton qui viennent embrasser le coco même s’il est toto — vous savez « Mais non toto, tu n’as pas une grosse tête ! » Et ils viennent avec le toutou frisé dans leur teufteuf bleu vert marine. Dans d’autres pays on l’appellerait un tuk tuk, mais nous ne vivons pas en Inde. Et la tata dira : « Zentil zentil, le toto, mais remonte ta culotte, on ne veut pas voir ton p’tit zoizeau. »

Et c’est ainsi que Toto il a remonté sa culotte pour ne plus jamais montré en public son cucul et sa quéquette. Et je dois dire que dans ce genre Le Slip Français fait un peu cucul comparé à Calvin Klein qui lui emballe la marchandise de façon plutôt macho. Mais l’important c’est que Toto, un raccourci pour Antoine bien sûr, il a finalement quitté la zone de la couche culotte pour passer à l’ère du slip ou du caleçon. Fini la layette et vive l’andouillette en bandoulière pour la cueillette des fillettes en mal d’aiguillette de jeunes viandes juteuses. Elles ne savent pas encore que ces aiguillettes de garçon en jeune croissance finiront tôt ou tard, du moins pour certains, portant ce que les Anglais appelle « aiguillettes » et que nous appelons « fourragères » que l’on accroche aux épaules des bœufs qui se paradent en uniformes pour les fêtes de village en soufflant dans des cornets ou des trompettes. Quand j’étais chasseur mécanisé je devais porter la fourragère de la légion d’honneur, toute rouge bien carminé et pourpre.
Notons en passant que Daniel Mesguich adore le mot pourpre pour les deux bégaiements qu’il contient avec la bilabiale sourde du pépé, papa, pipi, panpan, popo, pupu, et avec la spirante uvulaire embrassant à pleine bouche la seconde bilabiale sourde par devant et par derrière. Comme quoi le bégaiement peut être sexy et même sensiblement érotique.
Et dire que tout cela est en partie du moins dans Le Matrimoine d’Hervé Bazin. Certes un peu moins développé, mais tout à fait prégnant, et cela me donne l’impression que je ne suis en définitive que la descendance qui pousse comme une érection dans cette éructation de mots bisyllabiques bégayant comme toutes les meuh meuh dans les champs.

Et tous les Naf-Nafs du monde peuvent s’en aller proutprouter dans les ruelles sombres. Et vous pouvez toujours porter le pêtpêt et prétendre que cela n’’est pas bon pour le climat, vous savez gaz à effet de serre, mais les nanas aiment bien Naf-Naf, ce prêt-à-porter pas trop cher qui attire les naïfs et les niais d’un seul coup d’œil, avec en plus des souliers de chez le Dédé, vous savez le chasseur sachant chasser sans son chien, ou est-ce plutôt le chausseur sachant chausser sans gêne et sans gluten. Il nous faudra un jour réécrire la Bible tout entière en bisyllabes bégayants, en cuculien comme dirait Hervé Bazin. Je me demande si cela ne pourrait pas être appelé des mantras bibliques. Imaginez des grenouilles de bénitiers récitant en boucle des mantras bisyllabiques rédupliqués.
Toi-tu non-non pas-pas panpan tuer
Moi-je non-non gang-bang nana mariée
Vous-nous non-non fric-frac faucher
Dans notre digne société il n’y a que deux types de bégayeurs, avec un troisième type en catimini.
D’abord les Bobos Blingbling qui n’ont rien à voir avec les « Maman Bobo Panpan Cucul », ni « Papa Boulot Graillot Dodo », et pourtant souvent c’est bien tout ce qu’ils mériteraient, un bon « Panpan Cucul Braillot Dodo », mais on — qui n’est pas un c#$ malgré ce qu’#$ nous rac#$te sur s#$ (Ooops !) c#$pte — nous dit que les châtiments corporels sont interdits dans la bonne société, sauf comme jeux érotiques, si possible publics, collectifs et échangistes, en un mot covoiturés. Les Romains, comme les Valenciennois d’ailleurs, appelaient cela des fêtes bachiques et en latin ce ne sont que des « orgia ». Ils sont, ces bobos, plutôt BOF, vous savez « beurre ou fromage », peut-être même « Blut und Frischkäse », ou encore « bloody old friend », car bien sûr ils se targuent de parler des langues étrangères. « Mondele makasi ! » comme disait mon ami Pierre Ngeyitala à Kinshasa. Cela veut dire « Les blancs, ils sont forts », et je n’ai jamais compris pourquoi cela faisait rire les Congolais quand je disais « Mondele makasi ! » Ce devait être mon accent.

Puis vous avez les ré(-tro)-volutionnaires — ni trop trop, ni trop peu — qui se clandestinent, se dissimulent, en un mot se muchent en Ch’timi, en bien des types.
Les Zoziaux se targuent toujours
De connaître les news du jour,
Ne s’embarrassent pas du tout
De leur Zézaiement tout du bout
De leur langue toute engourdie
Tortillée sur un bigoudi.
Le Zoziau de servic’ connaît
Tous les oiseaux de la lagune
Les hiboux, chouettes, effraies
Les buses et macreuses brunes
Les Zaza bien gros anarchistes
Et surtout très très forts en gueule
Des monts d’Ardèche aux monts d’Ardennes
De la châtaigne au marron d’Inde
Les Zuzu tous huluberlus
Chevelus, velus et fourbus
Qui finissent sans mot de plus
Toujours tendus fendus pendus
Les Zézé jeunes émergentes
A la zézette z’entrouverte
Elles finissent leurs agapes
Enfin nous brisent nos agrafes

Les Zauzau bien tous autonomes
Portent un chapeau rigolo
Plume de paon en bonne forme
Leur revers dressé vers le ciel
Je ne dirai rien des Zizi
Les irrésistibles Zizi
Qui riment avec trucs en plumes
Deux amours mon pays Paris
Nous avons tous besoin ici
D’un petit zizi au logis
Oubliez si cela vous peine
Le phallus pénien à la peine
Mais n’oublions pas les Zinzin
Samedi soir au bord du zinc
S’ingurgitent un vin sanguin
Qui leur donne le goût chauvin
Ils iront plus tard à tue-tête
Brailler maintes chansons paillardes
Au nez et museau des bourgeois
Puis déboutonnant leurs braguettes
Arboreront sales gaillards
Leurs fiasses poilues tout en joie
La duplication syllabique, ou bégaiement mondain aujourd’hui, est si ancienne que même les Mayas l’avaient inventée il y a bien au bas mot cinq ou six mille ans. Leur préféré bégaiement, à la fois fruit de la forêt et argent comptant en poche — si les Mayas avaient des poches -, était assurément le , ce cacao qui joint l’eau finale à l’agréable liqueur que les Aztèques considèrent comme une « amère eau », le « Xoco-atl », notre chocolat. Faites-vous une fiche cartonnée avec le mot Maya et le mot Aztèque (dommage ces derniers ne savaient pas écrire) et vous brillerez de mille feux tout en haut d’une pyramide sacrificielle, avant que votre tête tranchée puis votre corps lié ne déboulent de marche en marche jusqu’au sous-sol ennuité.
« Vous en prendrez bien une seconde tasse, ma chère amie ? Il est divin à en perdre la tête ! »
« Mais pour sûr et sans me faire prier. Et puis jamais deux sans trois ! Une triplette, s’il vous plait, mon cher ami ! »
« On doit dire que ce chocolat est divinement entrelacé d’une liqueur sublime. »

Et ainsi va la vie. De tasse en tasse, de chocolat en cacao, tout toujours se répète et se dédouble en triplettes multiples, en triades celtiques. Mais que viennent faire les Celtes dans cette galère ? C’est quand même mieux qu’une galère turque au pont de Saint Cloud, mon cher Cyrano de Bergerac. Mais Molière se rapplique et d’un tour de langue tourne une vieille olive sèche en un gland appétissant, et la galère turque se trouve au port de Naples prête à enlever Scapin et je ne sais quel autre garçon pour des aventures de jeunes gens entre jeunes gens dans le loukoum des délices suaves d’un narguilé émoustillant. Laissez-vous pénétrer de ce suc cannabique qui vous époustoufle d’une envie de danser tout nu Place de l’Étoile.
« Mais vous n’y pensez pas, mon cher Jean-Luc ! »
« Surtout pas de contrepèteries avec mon nom, mon très cher ami ! Je connais vos penchants et je m’en réjouis pour vous, rien que pour vous. »
« Ne croyez-vous pas qu’il serait plus courtois de nous en réjouir ensemble ? »
« Je vous vois venir. Je te tiens tu me tiens par la barbichette. Le premier qui jouira sera la tapette. »
« C’est malin ! »
« Voilà le mulot pris à la souricière d’un pauvre théâtreux de misère. »
Mais laissons ce Jean-Luc et son auditoire à leurs histoires de barbichette. Revenons-en à nos moutons qui en duplication syllabique sont des experts. Rien de plus banal que cette duplication syllabique, à vous en endormir d’un seul coup redoublé d’une double baguette magique, tout en comptant les moutons bêlants qui sautent par-dessus la barrière.

Mais finissons-en de ces deux catégories sans grand intérêt mais qui savent par trop bêler et braire dans les rues comme autant de marchandes de quatre saisons mal embouchées et qui vous embrochent d’une enfilade de mots tous plus grossiers les uns que les autres, surtout si vous ne leur avez pas adressé la parole, car ces gens-là n’existent que dans les auditoires contraints d’écouter leurs divagations de Voltaire à Rousseau, du parterre au ruisseau, du trottoir à la rigole. Et qu’on ne les écoute pas ne les fait pas rire. Ils sont prêts à en découdre avec les archanges de l’ordre établi pour montrer qu’ils sont aguerris, mais ils ne savent pas que « Je suis de gauche, mais je me soigne » ou bien « Je suis de droite, mais je me ménage, me médicamente, et me signe, de croix bien sûr » ou bien encore « Je suis en hypertension centriste, mais je me saigne. »
Mais bien sûr qu’il faut en arriver à ceux qui vont et viennent en catimini sans qu’on les voie, sans qu’on les entende, sans même qu’on les sente, tellement ils sont légers et discrets, ces autistes Asperger, ces autistes savants capables en un coup d’œil de vous apprendre et de vous réciter l’entier du Bottin de la ville de Paris ou de Bordeaux, sans même tourner les pages. Car c’est bien sûr d’eux que nous parlons ici, tous les Einstein, Zuckerberg et autres Bill Gates. Et comme le bottin n’a pas de photos, ils se cachent de jour comme de nuit, car ils ne savent pas communiquer et ont peur du contact humain, vous savez :
« Cachez-moi donc ce sein que je ne saurais voir ! »
ou bien
« Je vous fuyais Madame.
Pour ne point révéler ma honte sulfureuse
D’une main timide qui pleure à vos genoux. »

Car, eux, ils savent faire des alexandrins, eux. Et ne les laissez pas s’engager dans cette voie car :
« Ils ne savent partir que treize à la douzaine
Mais par un prompt renfort Ils deviennent trois mille
En abusant du rhum. »
C’est qu’ils sont tous peut-être probablement pour sûr :
« Un des fils de l’ouvreuse et du sapeur-pompier. »
Et si vous préférez ils se pourraient bien en un dodécasyllabe romantique :
« Qu’ils soient issus de la cuisse de Jupiter. »
Je dois dire que ce sont les plus attrayants car ils disent n’importe quoi et sans même le penser. Ils sont les incendiaires d’une partie à quatre, raison de plus d’un pentacle lubrique, en même temps que les boutefeux qui boutent les envies les plus excitantes hors de France et de Navarre, sans chemises et sans pantalons. Il ne reste plus alors qu’à enlever les chaussettes et laisser « rigor mortis » s’engouffrer raide dans le délire, ou est-ce le délice, nocturne.
C’est ce type de société que tout humoriste vise. C’est ce type de gens qu’ils ambitionnent de dépeindre dans leurs travers amusants, contradictoires et illusoires. Il y aura toujours un clown, que dis-je un bouffon, mais non un jocrisse, ou serait-ce une queue rouge, pour vous dire que :
« Vous le connaissez mal, la même ardeur le brûle,
Et son plaisir s’accroît quand l’effet se recule. »

Mais faites attention car cet humour caustique sans être noir est aussi satyrique ou satyrien, saturnique ou saturnien, vous traitant comme un hybride capable de planer entre les pattes ongulées de quelque ours de foire et les bras d’un boxeur spécialisé dans le flic parisien. Si vous n’y prenez garde vous serez le kangourou — certains diraient le Gros Jean — de la fable en un rien de temps et vous en serez tout endolori dans votre âme violentée par quelque Lord Voldemort et dans votre esprit cabossé par cet autre Lord Henry Wotton. Ne parlons pas du corps, le vôtre bien sûr, car le mien est hors d’atteinte. Vous en sortirez couvert des poils hirsutes d’un farfelu tout velu qui n’a probablement pas tout compris à l’histoire. Il faut il est vrai être très callé en sornettes callipyges. Et pourtant il ne suffit pas d’un « bubble butt » pour transformer la soirée, bien que, pourtant, sans rechigner, disons-le franchement comme le diraient beaucoup — mais en sourdine — il n’est pas donné à tout un chacun d’avoir un beau cul. Et encore moins de savoir en jouer.
Et vous n’aurez que les yeux pour pleurer. Alors allez écouter :
« Les sanglots blonds
Des hauts houblons
De la bière
Les hauts le cœur
D’une liqueur
De sorcière. »
Et si vous doutez encore de l’effet aphrodisiaque et enivrant de cette satire onirique montez dans la montagne et pleurez sur les Douglas en récitant quelques vers nostalgiques :
« J’aime le son des corps, le soir au fond des lits,
Soit qu’ils chantent les émois de joie d’une biche
Ou les flots liquoreux de franche jouissance
Qui d’un trait boit le vin versé d’une naissance »

Et le soleil social qui se lève dans tous les sens et se couche de même resplendira d’une étrange complaisance, ou complicité, et vous passera dans le dos le baume d’un chuchotement comme « Mais où va-t-il donc prendre tout cela ? » C’est donc au soleil levant que vous allez retrouver le bégaiement zézéyant de notre amuseur marionnettiste du Pont Neuf, le Sieur Brioché, attendant que Cyrano de Bergerac ne passe et défie en duel le singe Fagotin de ce pauvre Brioché. Et que pensez-vous qu’il advint ? Mais bien sûr Fagotin finit embroché sur l’épée de l’autre amuseur public au grand nez, Cyrano dit de Bergerac. Alors n’ayez pas peur et appréciez ce que le marionnettiste picard Louis Richard de Roubaix aurait pu écrire en notre siècle pour ses marionnettes à tringles, vous savez celles qui tringlent jour et nuit sans le moindre répit. Je vous dis pas, ces Ch’tis sont de chauds lapins et au féminin elles sont de chaudes lapines. Et ils comme elles tringlent en picard local. « Ch’étot nin vrai ! »
Un Zazou vous reluquera
Costume Trois pièces cravate
Montre Rolex or et diamant
Chaussures John Lobb aux deux pieds
Zou ! c’est parti pour pas un sou
Vous allez tomber dans le trou
Les Zazous vous prennent le nez
D’une poignée immaculée
Une pincée de poivre gris
Une coulée d’absinthe verte
Une saupoudrée sucre neige
Une bouffée d’encens safran
Les Zazous qui viennent en bande
Font trois petits tours puis s’en vont
Votre âme collée à leurs bottes
Espoir d’un retour très prochain

Et le défilé mondain et urbain se poursuit sur le boulevard de quelque capitale, n’importe lequel, n’importe laquelle, c’est toujours la même musique, la même salade. Ils se laissent aller à la duplication syllabique « Des ronds Pompom ! » « Des sous Gripsou ! » comme d’autre chats ronronnent au coin d’un feu. Pour eux la vie, la bouffe, la conversation, la culture ne sont que des froufrous sans fin qui vous chatouillent, vous gratouillent et vous papouillent les dendrites de l’excitation hormonale. Ne me demandez pas lesquelles, elles sont toutes coupables, ces hormones, et c’est bien là le secret de ce monde de la classe moyenne aisée qui s’hurle pauvre et se gaspille les moyens cossus qu’ils ne veulent que montrer, arborer, démontrer, déployer, comme une rose déploie et déplie et épanouit ses pétales le matin au soleil levant. Dieu que cette parade est de courte durée. Même le samedi quand ils se peignent en jaune fluorescent, cela ne dure que deux ou trois heures et puis l’ennui, la solitude, le silence, sauf s’ils sont un peu plus qu’aisés, un peu plus que cossus et qu’ils peuvent de payer une soirée dans un café des grands boulevards, ce qui est un peu Blingbling et nous sommes revenus à notre point de départ. Comme quoi tous les chemins mènent à Rome et qu’on ne fait que tourner en rond.
A combien nous sommes tous prêts à craquer pour Macron tellement il nous donne de divertissement, de distraction. Et pendant que la France développe une jaunisse galopante on ne parle plus de choses qui fâchent, comme comment balancer le diesel, comment liquider les carburants fossiles, comment supprimer les particules fines ou non, comment expurger le gaz carbonique, comment se préparer à la montée des eaux. Je puis vous assurer que ce n’est pas demain qu’un Noé fantasque construira une nouvelle arche pour le nouveau déluge. Mais où peut-on se mucher pour fuir le conventionnel égoïsme de la rue et des ronds-points, la solitude du chez soi et la lassante fanfaronnade des cocktails et des soirées entre amis.
Il y a bien quelque part un refuge. Il suffit de suivre les routes qu’indiquent les panneaux de signalisation de la foire d’empoigne (prononcez « d’empogne ») de quelque quartier ci-devant populaire et devenu rupin et touristique dédié à la pêche à la Bacalan (en occitan dans le texte, bacalao en portugais), tout simplement la morue, qui s’est transmué en conclave du vin. Là vous aurez de l’espace, des foules silencieuses et paisibles, et ils parlent tellement de langues différentes là, qu’on n’y comprend plus rien et donc qu’on peut faire comme si personne ne parlait du tout. On peut là tourner en rond, comme le vin dans le verre avant de le boire, en se disant qu’on a peut-être trouvé le paradis du petit chien de Chopin. Celui qui valse en courant après sa queue.
Il est vrai qu’en ce moment on fait plutôt dans le rond-point, cette invention importée d’Angleterre par un certain Charles Fiterman, du plus célèbre rond-point historique de l’Arc de Triomphe de Paris (celui-là n’est pas de Charles Fiterman) à un simple rond-point de Somain où un prêtre a célébré la Messe de Minuit le 25 décembre 2018. « Le son mythique de l’absolu est l’hymne du rond-point. » (Claude-May Waia Némia, Nouméa, Nouvelle Calédonie). Si vous n’aimez pas les hymnes vous pouvez toujours entonner des Gospels ou des Negro Spirituals. Cela changera de la musique en streaming qui inonde tous les lieux publics, surtout ceux habillés en jaune.

Et je ne saurais, sous peine d’extradition, citer même ne serait-ce qu’une demi-phrase d’une de ces dames d’un Port-de-la-Lune (Burdigala en Gaulois) huppée comme une princesse de la nuit perchée sur quelque canapé qui est son seul univers et horizon professionnel. Le Grand Hôtel de Bordeaux, Caissière en Chef du bouis-bouis cinq étoiles qui en face du Grand Théâtre, ô pardon de l’Opéra, la Place de la Comédie à gauche et le Cours de l’Intendance à droite, sans compter la Rue Sainte Catherine, ce haut-lieu de la société mondaine du bouchon bordelais trône en temple sacré de tout ce qui se fait de bonnes manières et de savoir vivre. On est loin, n’est-on point, de la rumeur de la petite foule de la Place de la Bourse qui ce jour samedi 12 janvier 2019 a remonté sur les quais jusqu’à la Place des Quinconces où ils ont pu se recueillir, qui chez Montaigne, et qui chez Montesquieu, et pour les laïques philosophiques, il y avait toujours les chevaux de la Colonne des Girondins, ces révolutionnaires modérés qui n’ont été que les outils de la montée de Bonaparte.
Une fois les Montagnards tous raccourcis d’une tête.
Mais voilà tout à coup que j’en perds la tête. Serais-je en train de me transmuer en Robespierre ou en Saint-Just comme certains insurrectionnels parisiens qui se voient bientôt président de l’Ukraine française, à mi-distance entre le Londres du Brexit et le Berlin de…, de quoi d’ailleurs dans six mois ? Alors recueillez-vous gentiment avant d’aller enterrer vos conversations mondaines dans un sommeil réparateur qui vous laissera comme un goût de cauchemar au réveil demain matin.
Jacques COULARDEAU
Et en Maya. C’est plutôt joli, en ligne de gauiche à droite ou en glyphe carré.



